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16-04-2024 0 commentaires

Mettre la précarité alimentaire en majeur !

Damien Lacombe

 

 

Le récent sondage IFOP-La Tablée des Chefs paru le 25 mars 2024 confirme l’aggravation de la précarité alimentaire en France[1]. L’inflation en demeure aujourd’hui l’un des principaux points visibles et de crispation, avec un impact direct et négatif sur le budget alimentaire des ménages, qui a cru de 11% par rapport à 2023[2]. La part de la population concernée est également sans précédent, car la proportion de ménages modestes devant réduire leur consommation alimentaire a doublé[3].

 

Les conséquences sont dramatiques pour les personnes concernées, avec des suppressions de repas, la réduction des achats alimentaires et la non consommation de certains produits. L’alimentation est devenue la variable d’ajustement économique des ménages.

 

Parallèlement, le monde agricole souffre, avec des tensions économiques et financières structurelles, catalysées par un contexte actuel particulièrement dégradé : les charges d’exploitation explosent sans possibilité de les répercuter en totalité sur les prix, ce qui met en péril les fondamentaux des exploitations agricoles. De plus en plus d’agriculteurs se trouvent dans des situations d’impasse et de détresse, tant professionnelles que personnelles.

 

L’Histoire nous a malheureusement appris que ce type de situation n’est jamais bon ni pérenne : une société qui a faim et qui fait face à un appauvrissement structurel de ses exploitations et de ses agriculteurs - produisant les richesses que nous consommons -, est une société en sursis.

 

Nul besoin d’être stratège pour en partager le constat ni oracle pour en apprécier les menaces réelles.

 

Il est donc urgent de mettre la précarité alimentaire au cœur des priorités, avec des dispositifs et des moyens adaptés à l’urgence et à l’ampleur de la situation, de manière à soutenir les actions essentielles des associations alimentaires et de tous les acteurs qui luttent contre la précarité alimentaire. Les acteurs agricoles sont particulièrement concernés car, s’ils participent au quart des dons alimentaires des associations, ils se retrouvent de plus en plus dans des situations de précarité économique et financière.

 

En tant qu’agriculteur, issu du monde rural et président de coopérative agricole, je suis habité par quatre convictions profondes : 

 

Solidarité : La solidarité constitue la clé de voûte de la réponse durable et effective à la précarité alimentaire, tant au niveau de notre Société qu’entre les différents partenaires qui la constituent, privés et publics.

 

Responsabilité : Nous avons tous un devoir et une responsabilité en tant que citoyen et Homme : la responsabilité d’agir à la mesure de nos ressources et de nos moyens pour lutter contre la précarité alimentaire ; le devoir de veiller à ce que les moyens et les ressources alloués soient correctement employés, avec efficacité et justesse.

 

Réalisme : Nous devons agir en étant concret sur la réalité des ressources, financières notamment, qui doivent et peuvent être réellement mobilisées dans la durée : les objectifs visés et les moyens alloués doivent converger. Les programmes déployés doivent être avant tout efficaces, pérennes et finançables.

 

Pragmatisme : Toute idée qui fonctionne, quel que soit le pays dans lequel elle est déployée, mérite d’être étudiée en vue d’une transposition potentielle. De très nombreuses initiatives ont été menées par des États pour lutter contre la précarité alimentaire, avec succès ou non. Il est essentiel de nous inspirer des stratégies et des politiques qui ont fait leurs preuves, pour les adapter au contexte et aux spécificités qui sont les nôtres, afin de proposer des mécanismes opérationnels, crédibles et efficaces sur lesquels nous pouvons bénéficier d’un retour sur expérience capital.

 

Prenons l’exemple américain : il existe, parallèlement aux diverses aides publiques contracycliques versées à leurs agriculteurs dans le cadre du Farm Bill pour soutenir leurs exploitations et leurs revenus, de nombreux dispositifs d’aide alimentaire interne pour les enfants, les jeunes mères célibataires sans ressources, les ménages précaires et les seniors. Ces différents programmes, ciblés et dotés de budgets spécifiques, représentent au total plusieurs dizaines de milliards USD par an… à mettre en perspective par rapport au milliard d’Euros du budget public européen.

 

Une telle politique serait-elle efficace ? 

Certainement, au regard des résultats atteints et des modalités de déploiements des différents dispositifs envisagés.

 

Une telle politique serait-elle transposable en France ou en Europe ? 

Oui, avec de nécessaires ajustements pour tenir compte de nos spécificités et du fait que l’UE n’est pas les États Unis d’Europe.

 

Une telle politique serait-elle finançable ? 

Le contexte économique et budgétaire actuel limite la capacité de la France et de l’UE à valoriser de nouveaux budgets conséquents. Des alternatives innovantes peuvent toutefois être envisagées pour doter cette politique d’aide alimentaire interne de fonds structurels sans alourdir l’effort de la dépense publique.

 

Nous devons ouvrir les débats avec les pouvoirs publics pour réorienter prioritairement certains budgets en faveur de l’aide alimentaire. 

 

A l’heure de l’intelligence artificielle, des avancées colossales de la médecine, de notre compréhension toujours plus fine de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, et de la multiplication des programmes spatiaux, je n’arrive pas à me résoudre à croire que l’équation de la lutte contre la précarité alimentaire soit sans solution véritable.